Santé des femmes : inégalités et inégalités !

Les oubliées de la santé

Diagnostics erronés, traitements inappropriés, lacunes persistantes dans l’enseignement supérieur…
Le domaine médical, dont la référence reste le corps masculin, néglige encore trop souvent les particularités physiologiques des femmes, ce qui n’est pas sans conséquences graves sur leur santé.
C’est l’état des lieux qu’illustrait le documentaire diffusé cet été sur Arte « La santé des femmes – De l’ignorance à la reconnaissance ».

Le rapport de Sciensano, l’Institut national de Santé publique belge, sur la Santé des Femmes (avril 2024), rejoint largement ce constat[1].
D’autres études, comme celle des Femmes prévoyantes socialistes[2], ou articles documentés, comme celui des Mutualités chrétiennes[3], révèlent aussi une injustice criante.

Essais cliniques : les femmes sous-représentées

On a perdu tellement de temps…
La plupart des connaissances en sciences médicales s’appuient sur des recherches effectuées uniquement sur des hommes.
Pourquoi ?
Pendant longtemps, l’hypothèse selon laquelle le corps de la femme était similaire à celui de l’homme, à l’exception de la taille et de la fonction reproductrice, a justifié cette pratique.
Et puis, il y a eu des scandales de médicaments prescrits aux femmes enceintes qui ont provoqué des malformations chez leur fœtus (par exemple le Thalidomide dans les années 50-60).
Dès lors, on a adopté pour le développement des médicaments une politique d’exclusion des femmes en âge de procréer.
Ainsi, afin de protéger les femmes des effets néfastes des recherches médicales, l’homme est resté le standard des essais cliniques.

Mais aujourd’hui, on sait que de nombreuses molécules n’ont pas le même effet chez les hommes et les femmes, en raison de nombreuses différences : durée du transit, débit cardiaque, poids, masse grasse corporelle, filtration rénale, … et bien sûr fluctuations hormonales (cycle menstruel, effets des contraceptifs oraux, du THS, de la grossesse, de la ménopause).

Paradoxalement, ce sont ces différences et fluctuations biologiques qui sont invoquées par les chercheurs comme une bonne raison pour continuer d’éviter de tester les femmes.
Et même pour les tests de toxicité sur les animaux, les mâles sont préférés et continuent d’être surreprésentés !
Car prendre en compte les spécificités et modulations biologiques des animaux femelles, c’est prendre le risque d’une trop grande variabilité dans les résultats, ça prend plus du temps et ça coûte plus d’argent…

Des enjeux de santé importants

Les femmes ne sont présentes que dans 30% à 40% des essais cliniques.
Le sexe féminin reste encore sous-représenté à tous les stades de la recherche médicale.
Et même lorsque les femmes sont incluses dans les essais, il n’est pas rare que les conclusions publiées ne précisent rien sur les résultats en fonction du sexe.

Les enjeux sont pourtant importants : les médicaments à destination des femmes constituent l’essentiel des scandales pharmaceutiques des soixante dernières années.
Actuellement, 120.000 substances actives qui n’ont pas été spécifiquement testées sur les femmes sont en circulation.

Une étude de Berkeley en 2020 souligne que pour un même dosage d’un médicament, parmi la liste des 86 produits repérés, 90 % des femmes font l’expérience d’effets secondaires plus graves — nausées, migraines, hallucinations, anomalies cardiaques, etc.
En clair, le dosage unique étant basé sur celui d’un homme, il ne convient pas à une majorité de femmes.

Une double peine

Comme le souligne l’étude de Sciensano, les pathologies spécifiques aux femmes ne bénéficient souvent pas de traitements adéquats (par exemple, l’endométriose, les douleurs menstruelles et le syndrome prémenstruel).
Très peu de médicaments sont mis à la disposition des femmes enceintes car les études de développement des médicaments ne les incluent pas dans leur phase de sécurité.
Pour de nombreuses maladies, le délai de diagnostic est plus long pour les femmes que pour les hommes.

Les raisons dépassent les différences anatomiques et biologiques, et touchent aussi la culture des soins de santé et la façon dont les femmes sont perçues.
La douleur des femmes est souvent moins prise au sérieux par les cliniciens que celle des hommes dans un phénomène connu sous le nom d’écart de douleur.
L’écart de douleur peut entraîner un délai substantiel pour corriger le diagnostic comme c’est le cas pour l’endométriose (le délai moyen entre le diagnostic et l’apparition des symptômes est de 6,7 ans).

Enfin, certaines pathologies ne présentent pas les mêmes symptômes chez l’homme et la femme, ce qui, par manque de connaissances, peut conduire à un mauvais diagnostic (symptômes de la crise cardiaque souvent différents chez la femme par exemple).

Et comme triple peine…

Un récent article du Soir[4] aborde la question de l’inégalité des sexes et des genres en matière d’incapacité de travail pour raisons médicales.
Le constat est clair : ce sont les femmes qui paient le prix fort.
Troubles psychiques, maladies chroniques et responsabilités familiales pèsent plus lourdement sur elles, creusant un écart de genre qui continue de se renforcer.

L’article relève aussi que « La santé des femmes est insuffisamment considérée non seulement dans les essais cliniques et la prise en charge médicale, mais aussi dans la société même (…). Les femmes en âge de procréer sont confrontées à des problèmes liés à la fertilité, aux menstruations et à des maladies chroniques souvent sous-diagnostiquées (endométriose, fibromes, syndromes des ovaires polykystiques…) », qui peuvent conduire à des périodes d’incapacité de travail.
Enfin, les symptômes de la ménopause et la périménopause restent des tabous.

Une quadruple peine : les plus de 65 ans

L’absence des personnes âgées de 65 ans et plus dans les études cliniques peut affecter particulièrement les femmes. Majoritaires dans cette tranche d’âge, elles sont d’autant plus concernées.

Un rapport de 2020 souligne que certains essais cliniques ont des participant(e)s ayant un âge inférieur à celui attendu pour certaines pathologies.
On constate également une absence d’analyses qui comparent les résultats entre les sujets jeunes et les sujets de 65 ans et plus.
Il n’y a pas non plus d’informations concernant l’interaction des médicaments pris par cette population.

Un exemple de l’impact de l’âge sur les pathologies ?
Les femmes souffrent en général des maladies coronariennes 10 ans plus tard que les hommes.
Elles ne sont alors pas reprises dans les essais cliniques qui ont des sujets masculins d’âge moyen.

Et tout cela sans compter la question de la plus grande précarité des femmes qui en viennent plus souvent à devoir renoncer à des soins de santé !

Michèle D


[1] https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante/sante-des-femmes

[2] Anissa D’Ortenzio « Les essais cliniques : une absurdité médicale pour les femmes ? », étude FPS 2022, https://www.soralia.be/wp-content/uploads/2022/08/FPS_Analyse2022_EssaisCliniques_Web.pdf

 [3] https://www.mc.be/en-marche/sante/medecine/essais-cliniques-ou-sont-les-femmes

[4] Dominique Rodenbach, « Santé et travail : les femmes face à des inégalités persistantes », in Le Soir 9/10/2024

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