Ils ont laissé mourir Mémé

L’atelier d’écriture du Gang

Cet été, le Gang des Vieux en Colère a organisé un atelier d’écriture.
Colette a géré et assumé cette initiative, et une dizaine de volontaires se sont attachés le temps d’une journée à projeter leurs imaginaires, leurs colères, leurs passions dans des poèmes, textes, chansons.
Ci-dessous, deux des productions des Gangsters.

Ils ont laissé mourir Mémé (1)

C’est pas vrai…
Oui, elle a crevé toute seule, de faim, de froid , de solitude.
Je te le dis, je te le répète
Je l’ai vue s’amaigrir de jour en jour, d’abord assise dans son fauteuil puis couchée sur un lit, baignant dans son urine, les cheveux poisseux, la bouche grande ouverte comme si elle hurlait encore… « Laissez-moi crever ! »
Laissez-moi crever, ricane encore l’écho de sa chambre.

Manque de personnel m’ont-ils expliqué.
Oubli involontaire a ajouté un autre qui passait par là.
Ça peut arriver, vous comprenez, le quatrième étage est celui des grabataires et il n’y a qu’une seule aide-soignante qui, ces quinze derniers jours, était malade. La directrice de la Résidence n’a pas pu la remplacer.
Sans oublier la nuit où l’on entend les appels, les cris des cauchemars et les lamentations des vieux, abandonnés… L’effectif est réduit au minimum.

Il faut aussi savoir que ces derniers temps, Mémé ne voulait plus vivre.
« À quoi bon? », murmurait-elle sans cesse. Les yeux vitreux, le regard déjà ailleurs.
Mémé restait isolée, pas d’activités, pas de restaurant, pas de visites.
Les bruits couraient que Mémé perdait la tête. Elle ne parlait plus et refusait d’être lavée.
Finalement, avoua la responsable d’un air convenu…
Nous avons fini par l’oublier.

Comment ont-ils pu oublier Mémé ?

Nadia V.
(Derrière ce texte, se cache un être humain qui était une artiste peintre dont je tairai le nom.
C’était une femme exceptionnelle et une grande humaniste.
J’ai vécu auprès d’elle les plus beaux instants de ma vie lors d’échanges intenses et philosophiques, mais aussi la grande tristesse de la voir partir dans la souffrance sans pouvoir l’aider, n’étant pas de la famille.)  

Ils ont laissé mourir Mémé (2)

C’est ce qui se chuchote après son enterrement, ce jour spécial où on retrouve les vieux cousins, les voisins et même l’assistante sociale du home.
J’y étais, moi aussi, j’habitais sa rue, je ne la connaissais pas beaucoup, mais j’aime aller à ces cérémonies.

Le prêtre raconte des tas de conneries : Dieu l’a rappelée, elle est au Royaume des cieux, sa vie a été exemplaire et des tas d’autres choses qu’on lui a racontées car lui, le curé, il ne la connait pas.

Et, aux premiers rangs, des gens bien habillés qui font semblant d’être tristes.
J’ai vu une très jeune fille qui avait vraiment du chagrin, elle est venue lire un petit texte pour raconter les souvenirs qu’elle avait de sa grand-mère.

J’aime aussi la suite de cet événement, la réunion où tout le monde est invité pour le café, les sandwichs et la tarte au riz.
Et c’est là que j’ai entendu ces rumeurs…

Mémé avait été placée dans un home en province parce que c’était moins cher et sa maison avait été vendue. Dans le quartier, on n’a pas compris. Elle avait bien deux enfants qui vivaient loin ; on ne les voyait pas souvent. Elle avait aussi des petits-enfants.
Elle me montrait leurs photos quand je passais la voir.
Elle mélangeait les prénoms et les âges mais elle était émue en en parlant. Certains chuchotaient qu’elle était malade, plus de chagrin que de vrais problèmes de santé, qu’elle avait perdu la tête, ne reconnaissait plus personne et qu’ils l’avaient laissée mourir.

C’est pratique de dire « ils » …tout le monde comprend ce qu’il veut et on n’accuse personne.

  • ILS : la maison de repos où il manque du personnel, où ceux et celles qui travaillent sont mal payés et n’ont pas le temps de s’arrêter.
  • ILS : ceux qui gagnent beaucoup d’argent dans le commerce de l’or gris.
  • ILS : ses enfants, sa famille qui ont cru bien faire mais qui avaient d’autres chats à fouetter.
  • ILS : moi et les autres du quartier… nous n’avons pas pris soin les uns des autres, nous sommes passés à autre chose, parce qu’aller jusqu’en province, c’était compliqué. C’est la faute à pas de chance.

Jacqueline B

Voyez aussi l’article de la DH du 14-15/9/2024 « Je préfère mourir que d’aller dans un home » – avec des interventions de Gangsters

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