Un très beau « conte » écrit par une de nos membres, en ce temps de confinement.
Le vieux banc…
« C’était vraiment un vieux banc.
Il y a plusieurs années, il avait été placé dans un petit square lieu de repos, de pique nique et parfois de pêche, devant un étang où nageaient des poissons et s’ébattaient des canards.
Depuis cette époque, chaque jour de beau temps il accueillait des promeneurs ; des jeunes, des vieux, des familles, des petits enfants qui riaient de plaisir.
Or, depuis mars, depuis le confinement il restait désespérément seul.
Un jour d’avril je décidai de m’y asseoir un peu, j’en avais le droit, je suis vieille, très vieille.
Immédiatement je remarquai que le banc avait pleuré.
Quelques larmes brillaient encore sur ses planches crevassées.
Je lui demandai ce qui se passait et il me raconta …
« Il y a bien longtemps j’étais un arbre dans la forêt, j’étais heureux, c’était l’époque où Georges Brassens me chantait sur les ondes et j’étais fier de rendre les gens heureux.
Je me souviens de ma peur et de mon chagrin lorsque j’ai été choisi pour être arraché à mon lieu de vie mais soulagé de me retrouver dans ce jardin où, métamorphosé en banc, j’attirais les passants pour se reposer, les écouter, les apaiser.
A nouveau je pouvais apporter un peu de bonheur.
Pendant des années, ils ont été nombreux à venir se détendre, rêver ou partager entre eux les joies et peines de leur vie.
Nombreux aussi venaient les amoureux qui se projetaient ensemble dans un avenir commun.
Or maintenant, je suis malheureux, je me sens mal car ce n’est plus l’amitié, la tendresse, la convivialité que je transmets mais la maladie peut-être même la mort. »
Je ne savais trop quoi lui dire car il en est ainsi actuellement pour chacun de nous qui à notre insu et comme lui, sommes peut être un danger pour l’autre.
Nous aussi devons absolument éviter d’être trop proches les uns des autres, nous isoler sur le plan physique, nous protéger et nous respecter mutuellement en observant les consignes données.
Cependant, tandis que l’heure avançait, je sentais que quelque chose en moi avait changé et je remerciai le banc d’avoir raconté son histoire qui m’a fait comprendre que tout ce qui nous entoure, chaque être, chaque chose a une histoire qu’il faut écouter, préserver et qu’ainsi seulement pourra s’ouvrir une vie nouvelle, une vie meilleure.
Que désormais il NOUS appartiendra de respecter et faire respecter par nos dirigeants cette prise de conscience effectuée dans la souffrance, la douleur, le confinement, la séparation, la maladie, la mort et pour beaucoup le départ définitif sans un dernier adieu, un dernier regard, un dernier « je t’aime » à ses enfants, ses parents, sa famille.
N’attendons pas comme le craint le vieux banc qui connaît la faiblesse humaine de devoir souffrir davantage encore avant que quelque chose ne change.
Tout en m’éloignant je me retournai et le vis une fois encore seul face à l’étang.
Il pleurait à nouveau, c’est normal, tout est allé tellement loin dans la flétrissure de notre humanité, et il me sembla l’entendre me demander si comme lui je croyais à la fin de notre monde.
Je ne sus que lui répondre.
Christiane BLANJEAN