Non, la contention n’est pas un mal nécessaire

La journaliste Anne-Marie Impe a publié dans Le Soir du 21/11/2022 une excellente enquête sur la contention dans les maisons de repos / et de soins (MR/MRS)
( Article à lire sur le site « leSoir .be » ici )

(Illustration Le Soir)

Malheureusement, le titre que donne Le Soir à cette enquête est plus que malencontreux : « Maisons de repos et de soins : la contention, un mal nécessaire ? »,
– même si le point d’interrogation vise à atténuer la violence du propos.
Car la contention, c’est-à-dire la contrainte physique ou médicamenteuse exercée sur des personnes en position de faiblesse (que ce soit physique, psychologique ou psychique), est un véritable mal.
Et l’argument de la « nécessité » ne sert très souvent qu’à justifier de véritables abus.
C’est d’ailleurs ce que montre et démontre tout l’article de Mme Impe.

Des témoignages poignants

« Quand je serai morte, je voudrais que tu racontes ce qu’il m’est arrivé. » L’article s’ouvre sur le cas de la marraine de la journaliste qui, après une chute et un séjour à l’hôpital, aurait selon le kiné dû marcher tous les jours. Mais « le matin, après ma toilette, on m’installe dans le fauteuil et on fixe la tablette sur les accoudoirs. (…) Impossible de me lever. (…) Lorsqu’il y a des activités, les aides-soignantes m’y emmènent dans un fauteuil roulant parce que ça va plus vite. Je ne marche plus jamais. »

Un autre cas :

« Mon père était atteint de la maladie d’Alzheimer. (…) Deux mois après son entrée en MRS, il était devenu complètement apathique : chaque fois que j’allais le visiter, je le trouvais somnolant ou carrément endormi dans son fauteuil. La dernière fois, ils l’avaient attaché pour qu’il ne glisse pas. Il avait beaucoup maigri et n’était plus que l’ombre de lui-même. (…) nous avons alors décidé de le changer de maison de repos. En quelques semaines, débarrassé des médicaments qui l’abrutissaient, il avait recouvré sa vitalité et prenait visiblement plaisir à faire quelques pas dans le jardin de l’institution. »

Deux cas parmi des milliers, des dizaines de milliers, comme nous en connaissons tous parmi nos proches résidant en MR/MRS.

 Contention physique, contention chimique

L’article explique : « La contention physique comprend notamment les tablettes fixées au fauteuil qui coincent la personne âgée en position assise, les ceintures qui l’attachent à sa chaise roulante, les sangles pelviennes et les liens aux poignets. Quant à celle de nuit, elle inclut entre autres les barrières de lit, les sangles ventrales fixant la personne à son matelas et les pyjadraps qui l’immobilisent sur le dos, l’empêchant de se retourner ou de se lever. »
L’absence totale de sorties de la résidence, par manque de personnel, par manque de temps, par manque d’encadrement, constitue d’ailleurs aussi une forme de contention – non-dite !
Quant à la contention chimique, il s’agit de toutes sortes de drogues et autres calmants qui, selon la journaliste, provoquent l’apathie, la somnolence, des pertes d’appétit et d’équilibre, l’augmentation des troubles mnésiques, d’hallucinations, et aussi, parfois, des complications cardiovasculaires et un risque de décès accru.

« A titre exceptionnel », mon œil !

D’après la loi fédérale, la contention ne devrait être appliquée « qu’à titre exceptionnel (…) et uniquement sur indication médicale précise ». Les arrêtés en Wallonie comme à Bruxelles vont dans le même sens : exceptionnellement, sur prescription médicale précise et à titre temporaire.
On est loin du compte !
Ainsi, en Wallonie, 43,5 % des résidents en MR/MRS sont placés sous contention physique la nuit, et 16,4 %, de jour comme de nuit (données de 2019). Et ces chiffres n’incluent pas les enfermements en chambre ni encore moins les cas de contention chimique.
Pourtant, comme le remarque un médecin coordinateur en MRS, « la contention augmente le risque de chutes graves, d’escarres, d’incontinence, de troubles de la nutrition et de troubles dépressifs. »
Et on sait, par des études menées notamment aux Pays-Bas, qu’à partir de 70 ans, forcer une personne à rester alitée 10 jours peut entraîner une fonte musculaire similaire à un vieillissement de 15 ans, et que souvent elle perdra de façon définitive une bonne partie de sa mobilité.
Une spécialiste ajoute : « Chez les personnes atteintes de troubles cognitifs, qui ne comprennent pas pourquoi elles sont attachées, la contention physique provoque souvent du stress, de l’agitation, voire de la violence, une diminution de l’estime de soi et de l’envie de vivre qui provoque parfois un glissement pouvant aller jusqu’à la mort. »

Des abus qui attentent à la dignité et aux droits humains

Les raisons invoquées pour justifier la contention, qu’elle soit physique ou chimique, sont le plus souvent les risques de chutes, ou encore des comportements jugés dangereux pour la personne ou dérangeants pour les autres : fugues, agressivité, déambulation, intrusion dans la chambre d’autres résidents.
Parfois, ce sont les familles qui demandent des mesures de contention, par crainte des conséquences, et surtout par ignorance des alternatives.
Parfois aussi c’est le personnel qui les met en place d’autorité, par peur que sa responsabilité ou celle de l’institution ne soient mises en cause.
Mais les personnes coincées par des barres de lit ne peuvent pas se lever pour aller aux toilettes et, même si elles ne sont pas incontinentes, on leur impose d’office une « protection » (un lange), par manque de personnel et/ou, parfois, par commodité. Et puis, faire le change au lit, ça va plus vite, surtout si la personne se débat pour défendre sa dignité et sa pudeur !
« Il n’y a pas de situation plus humiliante que celle-là », s’indigne Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme.
Où est la déontologie médicale en MR/MRS ? En principe, la contention ne peut relever que d’une acte médical, précis, exceptionnel et temporaire !
Mais c’est tellement plus facile d’enfermer, attacher, lier, ou encore de droguer et d’assommer chimiquement !

Développer des alternatives !

Comme l’explique une psychologue : « Si une personne crie, plutôt que d’appliquer le réflexe presse-bouton – elle hurle parce qu’elle est démente, donc contention chimique –, il faut se demander pourquoi. Peut-être souffre-t-elle d’une douleur, d’un inconfort ou de la solitude. »
L’enquête du Soir donne des exemples de MR/MRS où la direction et le personnel développent une véritable écoute, et respectent la dignité et l’intégrité des résidents.
Mais une telle écoute implique du personnel en nombre suffisant, formé, respecté, et valorisé financièrement et socialement.
Elle implique une approche humaniste, aux antipodes des nombreuses « usines à fric » que sont trop de MR/MRS privées, qui ne visent qu’à rapporter de plantureux dividendes aux actionnaires.
Elle implique un suivi médical et pluridisciplinaire poussé, pour que les causes réelles du mal-être soient traitées. Car, la plupart du temps, il y a à la base une douleur (mal de dents, fécalome, phlébite, cancer, etc.), un inconfort (faim, soif, ennui) ou une angoisse que le patient ne peut pas exprimer ou qui ne sont pas entendus.
Elle implique enfin une révision en profondeur des normes de personnel, totalement sous- évaluées par rapport aux besoins réels, y compris dans les MRS gérées par le secteur public.

Le Gang des Vieux en Colère exige :

  • Que des moyens suffisants soient mobilisés, afin d’assurer le confort et la dignité des personnes âgées.
  • Que le personnel soit dûment formé à l’écoute, à la compréhension et à l’accompagnement des personnes âgées, et en particulier des personnes désorientées.
  • Que la recherche des causes du malaise des personnes en souffrance soit au centre des préoccupations, et pas seulement l’atténuation des symptômes et des désagréments pour l’entourage et le personnel.
  • Que la contention physique ou chimique soit strictement limitée, et
    • qu’elle soit exceptionnelle, dûment et précisément justifiée ;
    • qu’elle soit mise en place seulement après une recherche sérieuse et documentée des causes de la souffrance, et après qu’ont été explorées les solutions alternatives ;
    • qu’elle soit limitée à 3 jours, avec réévaluation systématique et observation des effets ;
    • qu’elle soit discutée avec le médecin et l’ensemble de l’équipe d’encadrement, et discutée avec le résident et avec la famille ;
    • qu’elle soit autorisée par le résident ou par son représentant.
  • Que dans tous les cas, le respect de ces procédures soit rigoureusement contrôlé, et que les recours soient dûment prévus et assurés.

Ce ne sont pas les bonnes volontés et le dévouement qui manquent dans les maisons de repos.
Ce qui manque, c’est la volonté politique de faire du bien-être et de la dignité des personnes âgées une véritable priorité.
Et de dégager les moyens nécessaires pour cela !

                                                                                               M. Desormeaux, P. Marage

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